Grand soleil sur la plaine icaunaise. L'azur profond contraste avec la blancheur de la forêt en hivernage. Hêtres, chênes lièges, pins, les essences clairsemées offrent peu d'abri au promeneur aveuglé par la réverbération des feuilles mortes. Quelques oiseaux croient déjà au printemps revenu, et l'on entend fouir ici et là dans les buissons. Un clocher lointain sonne l'heure : voici venu le temps du dandy destructeur.
Annoncé par le cliquetis mécanique des outils qu'il porte sur le dos, il foule d'un pas gaillard la nappe verte qui coule devant lui, entre la lignée des arbres. Tee en terre, deux ou trois moulinets des bras, le voici fin prêt pour une énorme gratte au trou numéro 1. Seul au monde, avec pour seuls spectateurs les rayons qui dardent son dos musclé, il est un peu fébrile : on ne joue pas pour la galerie, on joue pour soi. Du premier coup jusqu'au dernier, le seul juge est soi-même. Sera-t-il à la hauteur cette fois-ci ?
Dans une rotation majestueuse et souple, le club s'élève, se stabilise au-dessus de la tête, puis repart à toute berzingue vers le sol. La frappe, compacte et puissante, propulse la balle dans une parabole interminable. Le bruit parfait, la sensation jouissive d'avoir trouvé le sweet spot. "Nice shot", songea-t-il, imaginant un murmure d'admiration courant parmi la foule rassemblée derrière lui. Mais voici que la balle, encore suspendue en l'air, commence à tourner, irrémédiablement, vers le côté obscur de la forêt. "Et merde, ça commence bien", songea-t-il de nouveau. Toc... tac... toc... un arbre, puis deux, une branche tombe. Ce n'est pas encore aujourd'hui qu'il jouera comme un champion.
Avec lenteur, le golfeur remballe sa quincaillerie, endosse son harnachement et, pris d'un secret espoir, s'engage en direction de la forêt. O magie, ô miracle divin, alleluia, merci sainte Gudule, la balle est sauve ! Reposant tranquille en bordure de forêt, sur un lie impeccable, avec même un semblant d'ouverture pour attaquer le green. Il y a décidément un dieu pour les manchots.
Oublieux de son piètre coup précédent, notre homme analyse son nouvel objectif : environ 150 m jusqu'à l'entrée du green, en sortant bas sous les branches d'arbre, en direction du bunker de droite, puis léger hook pour revenir vers le drapeau et, enfin, faire s'arrêter la balle sur moins de 10 m parce que, bon, derrière le green, il y a de l'eau. A n'importe lequel de ses partenaires de jeu, il aurait conseillé un petit coup de dégagement, pour revenir sur le fairway et se laisser une attaque de green au pitching wedge mais là, non, la sage raison et le bon sens sont inopérants sur ce cerveau imbibé d'adrénaline : il faut qu'il tente le coup impossible.
Armé d'un fer 5 et de toute sa force brute, il tape et tope la balle, qui part à ras de terre comme une fusée. Quelques ondulations du terrain freinent sa course inexorable vers le bunker, qu'elle frôle tout juste avant de prendre une petite pente droite-gauche et de revenir en roulant vers le green. "Quel coup de merde !" pense-t-il, "pas du tout ce que je voulais faire", sans songer un seul instant que le résultat est peut-être au-delà même de ses espérances. Jamais content ! Pour un vrai golfeur, il n'y a pas que le résultat qui compte, la manière aussi.
Arrivé sur le green, la balle attend à 1 mètre du trou, qu'on veuille bien la pousser au fond. Ce qui ne lui prendra qu'un coup. Birdie ! Jamais il n'aura commencé aussi bien une partie de golf mais, non, notre golfeur n'est pas content. Après deux coups ratés, mérite-t-il vraiment ce score ? Rentrer la balle en 3 coups, c'est presque frustrant : on n'en a pas pour son argent. Ronchonnements, jérémiades et protestations intérieures contre lui-même et son satané swing qui ne marche pas. Au fond, il est bien heureux tout de même de s'en tirer à si bon compte avec, en prime, une histoire qu'il pourra largement enjoliver, une fois rentré au bar.
Bon, c'est pas tout ça, mais il reste encore 17 trous pour améliorer les choses...
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