samedi 19 février 2011

Subprimes

Depuis 2008, on a beaucoup écrit pour expliquer la crise des subprimes. Mais qu'a-t-on fait pour sanctionner les fautifs ? Car il y a bien eu faute... mais de quelques-uns ou de nous tous ?

Petit rappel pour ceux qui n'auraient pas suivi (sinon, passer directement à la fin).
  • Phase 1 : Des ménages (essentiellement aux USA) ont emprunté pour acheter leur maison. Comme ils ne gagnaient pas assez pour obtenir les montants de prêt nécessaires, des banquiers - toujours désireux d'aider leur prochain - ont décidé de leur prêter quand même l'argent, soit bien plus que raisonnable. L'idée étant que, si les ménages ne peuvent plus rembourser, il reste la maison, dont le banquier se fera fort de tirer un bon prix. Dès le départ, le banquier est donc un salaud puisqu'il met sciemment dans la m... des gens en leur promettant la lune. Cela dit, les "clients" ne sont-ils pas également coupables de s'être laissé aller à rêver qu'ils pourraient devenir propriétaires d'un petit pavillon alors qu'ils gagnent à peine de quoi finir le mois sans se priver ?
  • Phase 2 : Effet collatéral de la phase 1, l'immobilier s'est emballé - et oui, quand on augmente artificiellement la demande, cela fait monter les prix. Ironie du sort, l'immobilier devenant de plus en plus cher, de moins en moins de ménages pouvaient s'offrir une maison normalement et ont dû recourir à ces prêts véreux garantis par l'existence même de la maison (voir phase 1). Accessoirement, les professionnels de l'immobilier en ont bien profité, construisant et vendant à tour de bras, tandis que les politiciens se frottaient les mains d'avoir une belle croissance économique tirée par le secteur immobilier. Tout le monde en a profité (même nous européens), mais c'était aussi absurde que de souffler dans un ballon pour essayer de décoller - physiquement, la loi de l'action et de la réaction dit que c'est impossible (NB : le coup de la montgolfière, ça marche autrement mais ce serait trop long à expliquer ici).
  • Phase 3 : Les traders ont fait leur job. Avec le gros paquet de prêts qu'ils avaient accordés, ils ont vendu des produits financiers aux investisseurs du monde entier : les remboursements de prêts servent à rémunérer les placements effectués par les investisseurs. Accessoirement, c'est l'argent placé par les investisseurs que la banque prête elle-même aux ménages. Dans l'histoire, les banquiers ne sont finalement que des intermédiaires entre les ménages emprunteurs et les investisseurs, mais quels intermédiaires ! Schématiquement, le gros paquet de prêts a été découpé et vendu en tranches, chaque tranche contenant un peu de tout : des bons prêts (les primes) et des prêts véreux (les subprimes). En faisant le mélange, on cache un peu les subprimes et on dilue le risque : 10% de défauts de paiement dans une tranche, ce n'est finalement pas si grave, cela fait partie des risques d'investir...
  • Phase 4 : Un jour, suffisamment de gens se sont rendus compte de la supercherie et ont perdu confiance. Les produits financiers achetés par les investisseurs ont perdu leur valeur car plus personne ne croyait que les ménages pourraient rembourser tous leurs emprunts. Les investisseurs ont exigé de récupérer leur argent, au moins ce qui était possible de récupérer, tandis que les ménages ne pouvaient rembourser tout ce qu'ils devaient. D'où crise des banques, qui faisaient l'intermédiaire entre prêteurs et débiteurs. Mise à la rue des ménages pour revendre les maisons. D'où crise de la consommation, les ménages ayant tout perdu, et crise de l'immobilier, trop de maisons arrivant sur le marché des ventes. D'où crise économique, sauvetage des banques, etc. La suite est connue.

Pour résumer, certains (les ménages, les banquiers, les investisseurs) ont pris trop de risques et certains (les banquiers) se sont chargés de les diffuser dans l'ensemble de l'économie, espérant que la dilution suffirait à les faire passer (c'est le fameux principe de mutualisation des risques par la collectivité, qui permet de baisser le coût des risques idiosyncratiques). Cela a marché tant que tout le monde y a cru. Le krach est arrivé lorsqu'on s'est rendu compte que le prix des produits financiers, des prêts, etc. était différent de leur valeur intrinsèque.

En finance, tout est question d'appréciation du risque : combien vaut tel risque ? Un jour il vaudra beaucoup, le lendemain très peu. Pourtant, ses fondamentaux (probabilité de défaut, conditions de paiement, etc.) n'auront pas changé dans la nuit. Seul compte vraiment ce que pensent les gens. Si tout le monde pense que tel produit risqué vaut 100 et, moi, je pense qu'il vaut 50, qui a raison ? Tant que tout va bien, c'est moi qui ai tort (et le marché me fera perdre de l'argent par rapport aux autres) mais, si demain les gens changent d'avis, c'est moi qui aurai raison (oui, mais trop tard, car tout le monde alors pensera comme moi ou pire).

Dans la crise des subprimes, la faute a été de laisser perdurer des pratiques qui sous-évaluaient le risque. Certains les ont dénoncées mais n'ont pas été entendu (cela arrangeait trop de monde), d'autres se sont tus mais que savaient-ils vraiment ? S'ils savaient parfaitement et se sont tus sciemment, c'est criminel de leur part - comme il est criminel de mettre en danger la vie d'autrui. Mais s'ils n'avaient que des doutes et ont manqué de courage pour affronter l'opprobre (le porteur de mauvaise nouvelle est toujours haï par la société), faut-il leur jeter la pierre ?

En finance, avoir raison contre l'avis de la majorité, c'est avoir tort. Hélas, c'est aussi vrai de la plupart des domaines de notre société : la politique, la morale, le droit, l'histoire, l'environnement...

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